Le démontage politique : la fin de l’objectivité, prétexte des pouvoirs.

Publié le par Raf

On l’aura suffisamment compris, la modernité politique est une affaire de lutte. Lutte des Dieux, lutte des cités, lutte des classes, lutte des cultures, lutte des nations, lutte des idéologies, lutte des Hommes surtout. La lutte est la fin de la politique et du politique, son ultime réalité, non son moyen. Toute entité politique, cité, Etat, civilisation, culture, le « nous » en fin de compte, se construit contre le « eux ». Les Cités Etats des grecs n’en sont que l’exemple les plus probant, avec la cité grecque, le nous, et les barbares, le « eux » qui ne parlent pas le grec. Mais il suffit de regarder comment les nations se sont construites. La seule communauté nationale est l’ennemi commun, le sentiment de persécution de la nation par ses ennemis, extérieurs, souvent les voisins, et intérieurs ; souvent les étrangers. Il suffit également de constater la psychose sécuritaire de nos temps, qui repose sur la figure du terroriste, personnage ô combien conceptuel, mais qui permet le regroupement politique. « La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens », « la politique est la continuation de la guerre par d’autres moyens », d’où, la guerre est un moyen politique, et la politique est un moyen de guerre, sans exclusion réciproque, bien au contraire. Tout ensemble politique donc est construit contre quelque chose, (ou plus souvent contre quelqu’un), et pour quelque chose, pour la lutte contre cette chose. Dire qu’il en a toujours été ainsi et qu’il en sera toujours ainsi ne permet pas d’avancer vers une autre civilisation. Cependant, il peut être utile et agréable de comprendre le caractère construit, la fin de toute objectivité des entités politiques.

 

L’Etat, forme politique aujourd’hui la plus répandue, repose aussi sur cette lutte perpétuelle. Etat, institution, statut, objet, tous noms que l’on donne au monstre froid, est le résultat de luttes internes et externes. En institutionnalisant des luttes internes, c'est-à-dire en les pacifiant, en les refroidissant, le monstre permet les luttes externes. L’Etat, comme organisation pacifiée de la lutte politique interne, par l’élection par exemple, ou le tirage au sort, permet la croyance en une communauté politique, et donc l’exclusion et la lutte moins pacifiée, plus violente contre les extra communautaires. Cet Etat moderne, pacification chimérique de la vie sociale est basé sur deux chimères : la représentation, et le gouvernement. Les deux constituent le socle de la politique moderne, et il est illusoire de penser que la nature d’une organisation politique se caractérise par le mode de désignation de ses dirigeants.

La représentation, c’est la croyance qu’un petit groupe d’individu peuvent être l’instrument de la volonté de tous, la volonté générale. Celle ci est une chimère, une pure idée sans aucun lien avec le réel, inconstructible, facilement manipulable, et donc totalement inopératoire. Peut-on encore croire qu’on peut faire une synthèse pour le pire, une addition pour le mieux des volontés individuelles ? Qu’un homme, ou une femme, ou qu’un groupe d’humain peut se vanter d’être le medium totalement neutre de la volonté un groupe bien plus large ? Chimères. Le vote n’exprime en rien la volonté d’un individu, ni le tirage au sort, ni le coup d’Etat. La politique ne peut se faire réellement que par et pour soi.

Le gouvernement ensuite. Quel mot affreux ! Rien que penser, que quelques hommes puissent penser que je suis leur gouverné, qu’il est, qu’ils sont mon/mes gouvernants, cela me fait froid dans le dos. Le gouvernement, c’est la violence institutionnalisée, et retournée par les gouvernants vers les gouvernés. Violence physique avec les pouvoirs de police, violence symbolique avec la création de l’objectivité politique. Et l’objectivité est le prétexte de la lutte pour le pouvoir : prétexte c'est-à-dire, la source et le produit du pouvoir.

            Le pouvoir non comme moyen mais comme fin de la politique, n’existe que pour et par un prétexte. Le  mot de prétexte semble parfaitement adapté ici. Il s’agit de fait de ce qui permet le texte, de ce qui le rend possible, sans quoi rien n’est faisable, ou alors dans une autre forme que le texte. En quelques mots : sans prétexte au pouvoir, plus de politique telle que nous la connaissons, plus de politique moderne. Quel est ce prétexte qui permet la politique, la lutte pour la communauté, et donc la communauté elle-même ? Cela est difficilement croyable lorsqu’on regarde l’actualité politique, mais d’un point de vue inactuel, toujours plus en hauteur, le prétexte à toute politique est d’ordre métaphysique. Il concerne le « statut » que l’on donne à la réalité. Toute lutte politique concerne la définition de la réalité en tant que telle. L’Etat définit l’état de la réalité à un moment et un endroit donné, en faisant croire accessoirement qu’il en a toujours et partout été ainsi, et accessoirement qu’il en sera toujours ainsi.

Tout prend son origine, ici encore, dans le statut d’objectivité. Tout ce qui est objectif est réel, depuis Platon surtout, mais encore avec l’idéalisme chrétien, le rationalisme, le matérialisme scientiste, l’universalisme, le positivisme, bref comme je l’ai déjà dit avec toute idéologie humaniste. Grande généalogie pour le système politique ! Le subjectif, lui est considéré comme virtuel, et relégué dans le domaine de l’art et du rêve fantasmatique. L’objectif est le prétexte qui donne naissance à la politique moderne comprise comme construction de la communauté. En effet, sans objectivité, pas de commun, pas de prise sur l’homme. Ai-je besoin de faire référence à Pierre Bourdieu et à ses catégories objectivées ? L’objectivation des catégories, en  premier lieu des catégories sociales, est l’essence même du politique. On parle de société, d’Etat, d’individu comme des objets donc réels, et même parfois matériels, mais qu’en est-il vraiment de leur réalité ? Elle est construite, mais possiblement déconstructible, et même déjà partiellement déconstruite par le long travail de désenchantement, nihilisme s’il en est, qui a parcouru tout le 20ème siècle. Ainsi, par exemple on nous parle de société. Qu’est ce réellement? Est un objet ? Il me semble bien que non. Cela me semble bien plus un concept, un outil d’interprétation du réel. Si on revient à l’allégorie du solex, la réalité étant cette mécanique parfaite, mais intouchable, incompréhensible sans outils, alors le concept fait partie de l’en dehors de la mécanique « réalité », sans pour autant ne pas exister. Ici ce situe la mort de la politique moderne, celle de lutte pour la définition de la réalité afin de construire la communauté. A ce propos, les média de communication, qualifiées hypocritement de quatrième pouvoir, sont en fait l’essence même du pouvoir politique, car c’est par eux que se produit la construction de la communauté, la communication, par la sélection, l’emphase, et la manipulation de ce qui constitue l’objectivité. Et en premier lieu le langage et la définition des mots.

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J
Je ne sais pas. C'est vrai que l'objectif est le collectif. D'où la volonté de créer des concepts. Cette course à l'objectivation pourrait être aussi le symptôme d'une sorte de panique devant un monde qui change beaucoup plus vite que la pensée de nos dirigeants. La pensée s'affole et produit de plus en plus de substantifs, croyant ainsi pouvoir encore contrôler les changements. Je ne crois pas que nous soyons séduits par ce verbiage.   
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M
Et que faut-il en conclure pour dimanche prochain?<br /> Aller à la pêcheDéchirer le bulletin de votePartir pour l'île déserte(Re)lire BakounineRéparer de toute urgence ton solex en panne<br /> En ce qui me concerne je voterai dimanche prochain sans trop d'illusion puis je partirai rapidement pour l'île d'Yeu ...
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A
..la réalité étant cette mécanique parfaite, mais intouchable, incompréhensible sans outils..<br /> Salut Raf,<br /> dis donc, t'as l'air en forme!<br /> Ton texte est d'une puissance!<br /> J'ai bien aime, surtout cette derniere phrase..<br /> Au fait, j'ai rencontrer un francais , il fait une these sur les sophiste, il est super marrant, je lui ai proposer de te rencontrer...<br /> Je croie que je vais voter pour toi moi..<br /> Bizz<br /> Arthur<br /> <br />
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