La sagesse de l'amitié

Publié le par Raf

J’avais écrit, il y a quelques temps déjà, qu’on pouvait définir la philosophie non pas comme amitié (amour) de la sagesse, mais plutôt comme sagesse de l’amitié. Il me semble aujourd’hui, à la lecture du livre de Onfray, la puissance d’exister, que cette définition est particulièrement pertinente pour caractériser l’activité philosophique.

J’avais écrit : « Je pose un type de plaisir connu sous le terme d’amitié, philia en grec. On mesure déjà le lien entre cette philia et la philosophie. L’amitié de la sagesse. Ou la sagesse de l’amitié. Ce plaisir est un plaisir englobant. Il est l’amitié de soi. Il est l’amitié des autres personnes. Il est l’amitié des objets qui procurent le plaisir. Le tout n’est qu’un seul sentiment. La philosophie, cette fameuse sagesse de l’amitié, ne peut être menée uniquement que vers ce but, si il en est un. L’égoïsme, ou amitié à soi, l’altruisme, l’amitié pour les autres, l’intérêt, l’amitié pour les choses ; toutes ces amitiés ne sont pas à distinguer, ni surtout à opposer. Chaque plaisir est une combinaison immanente et unique de ces trois amitiés. Le plaisir nécessite un sage agencement des trois types. Et cet agencement s’appelle philosophie. »

(Plaisir et amitiés, 31 mars 2006)

En quoi, me demanderez vous, cette définition de la philosophie comme organisation des amitiés à soi, à l’autre, et aux choses peut-elle être caractéristique de l’activité des « Grands Philosophes » et de celle, non moins philosophique, des « petites gens » ? En quoi cela mène-t-il à une autre lecture de la philosophie, déssanctifiée, corporalisée ?

            Si l’on regarde bien toutes les grandes doctrines philosophiques, platonisme, épicurisme, cynisme, stoïcisme, idéalisme, matérialisme, philosophies religieuses (pour leurs parties philosophiques), rationalisme, utilitarisme…, ce sont toutes des manières plus ou moins différentes d’organiser ses amitiés et ses inimitiés. Amitié de la matière pour le matérialisme. Inimitié de la matière, amitié de l’Idée pour le platonisme. Amitié aux dieux et aux arrières mondes pour les philosophies religieuses. Amitié de l’immanence et de l’atome chez Epicure. Tout discours philosophique (ou presque ?) se résume à « j’aime/ je n’aime pas ». Et j’aime la franchise de Onfray dont la formule « je tiens pour… » ne dissimule que très peu cette dimension du discours philosophique.

            Parmi l’activité philosophique, je tiens pour réellement importante celle de dire quels philosophes on aime le plus. Activité particulièrement développée et appréciée dans la philosophie de Onfray. La question de l’amitié traverse le temps, et on ressent de l’affection réelle ou une répulsion en lisant telle ou telle œuvre. L'appréciation ne se situe que très peu au niveau de la raison, mais au niveau des affects. La raison vient justifier, plus ou moins fortement, ces affections et désaffections.  

Si l’on divise le monde en trois, moi, les autres, et les choses (division arbitraire, comme toute division) les différents courants philosophiques s’éclaircissent. Haine du réel matériel, donc du corps, donc des autres, donc des choses. Mais amitié de l’Idée, donc amitié de l’âme, de l’âme rarement supposée des autres et des choses. Amitié à la matière donc du corps, donc des autres, donc des choses. Chez Nietzsche cette dimension est particulièrement probante : Amor Fati ! nous dit le philosophe : aime ton destin ! Tu n’es que volonté de puissance, et cela tu dois l’apprécier. Trois dimensions importante à la philosophie donc: leur dosage de l’égoïsme, de l’altruisme et de l’intérêt.

Si la philosophie n’est que cela, sagesse de l’amitié, sagesse de l’agencement des amitiés, avec possible justification raisonnable et raisonnée des amitiés, elle apparaît, pour ma part, moins prétentieuse, moins idéaliste, plus corporelle, plus proche de l’autobiographie d’un corps et plus lointaine de l’activité de regarder le ciel pour attendre la chute des idées. Sens ton corps, sens les autres, sens les choses. Aime les à ta façon et dis : j’aime, je n’aime pas. Alors tu seras philosophe.  

Publié dans subjectivité

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article